9 septembre 2025
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CA Reims, 22 avril 2025 n° 24/00893 ; 24/00894 ; 24/00895
Dans un arrêt rendu le 22 avril 2025, la cour d’appel de Reims s’est prononcée sur la résiliation judiciaire de contrats de franchise et d’approvisionnement dans le contexte d’une procédure de sauvegarde judiciaire initiée par un franchisé.
Pour mémoire, l’article L.622-13 IV du Code de commerce (applicable à la procédure de sauvegarde judiciaire) permet au juge-commissaire à la demande de l’administrateur judiciaire, de résilier un contrat en cours si deux conditions cumulatives sont remplies :
La demande de résiliation doit être nécessaire à la sauvegarde du débiteur ;
La demande de résiliation ne doit pas porter une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.
En l’espèce, le juge-commissaire a prononcé la résiliation du contrat de franchise et la cour d’appel de Reims a confirmé cette décision.
S’agissant du premier critère (la nécessité de résilier pour sauvegarder la société), la Cour d’appel a constaté que malgré un chiffre d’affaires en hausse, la rentabilité du franchisé chutait de manière importante, en grande partie, selon la Cour, en raison des contraintes imposées par le franchiseur (contraintes tarifaires, logistiques mais également des contraintes liées à la franchise participative laquelle rendait impossible la renégociation des contrats).
La Cour en a conclu que la résiliation des contrats permettrait au franchisé de retrouver une exploitation viable avec un nouveau partenaire.
Quant à l’atteinte aux intérêts du franchiseur (second critère requis par l’article L.622-13 IV du Code de commerce), la Cour d’appel a jugé elle n’était pas excessive car les préjudices invoqués par le franchiseur (perte d’un point de vente, atteinte à l’image de marque, et déstabilisation du réseau) étaient pour certains à relativiser, compte tenu du poids économique du franchiseur, et pour d’autres devaient être écartés car ils n’étaient pas démontrés.
Le franchiseur avait soulevé que la résiliation anticipée du contrat allait engendrer une créance indemnitaire au profit du franchiseur. La Cour a rejeté l’argument, estimant que cette créance était hypothétique. A ce sujet, il est surprenant que ce point n’ait pas été analysé à l’aune du critère de la nécessité de la résiliation. La jurisprudence a, en effet, logiquement déjà jugé que la résiliation ne pouvait être considérée comme nécessaire au redressement du débiteur, dès lors que du fait de l’application des dispositions contractuelles, la résiliation du contrat entrainerait un coût financier important pour le débiteur (CA Bordeaux, 24 septembre 2014, n° 13/02015).
Cette décision, si elle marque une volonté affirmée de protéger l’entreprise en difficulté, laisse néanmoins perplexe : il ne faudrait pas que les franchisés, avec le soutien d’administrateurs judiciaires bienveillants et l’appui des tribunaux, trouvent là, à bon compte, un moyen de se défaire de leurs liens contractuels avec des franchiseurs sans que la décision soit fondée sur une faute démontrée de ces derniers.
CA Montpellier, 6 mai 2025, n° 23/05066
Les clauses de cession et les clauses d’agrément du cessionnaire stipulées dans les contrats de franchise font l’objet d’une jurisprudence étoffée.
Dans l’arrêt ici commenté, la cour d’appel de Montpellier était saisie d’un litige opposant un franchiseur à l’un de ses franchisés, à la suite de la résiliation par ce dernier du contrat de franchise qui les liait.
En 2017, le franchisé avait informé le franchiseur de son intention de céder son fonds de commerce à un tiers. En vertu du contrat de franchise, cette cession était conditionnée à l’obtention de l’agrément du franchiseur.
Or, ce dernier avait refusé de donner son accord à la cession, justifiant ce refus par l’incohérence entre le prix de cession demandé par le franchisé et les résultats financiers réalisés par ce dernier.
Contestant ce refus, le franchisé avait résilié le contrat et assigné le franchiseur en responsabilité, soutenant que son refus caractérisait un abus de droit puisque le franchiseur ne s’était attaché qu’au prix de cession proposé.
Le Tribunal de commerce de Montpellier, puis la Cour d’appel de Montpellier, ont rejeté cette demande et condamné le franchisé au paiement de dommages et intérêts au franchiseur.
Dans son arrêt, la Cour d’appel rappelle que la clause d’agrément stipulée au contrat ne s’attache pas uniquement à la personnalité du candidat à la reprise mais est également destinée à garantir l’exécution par ce dernier des obligations stipulées dans le contrat de franchise.
La raison du refus opposé par le franchiseur reposait sur des éléments objectifs liés à la viabilité de l’exploitation future du magasin et à la pérennité du réseau, et ne saurait dès lors être qualifiée d’abusive.
La cour d’appel a ainsi estimé que le refus du franchiseur, motivé par la nécessité de veiller à la rentabilité et au succès des membres de son réseau, était légitime et a rejeté les demandes indemnitaires du franchisé.
Cet arrêt doit être salué car, au-delà de la relation bilatérale entre le franchiseur et le franchisé, il prend en compte les intérêts du cessionnaire et du réseau de franchise tout entier. Le franchiseur est en effet dans son rôle quand il prend une décision qui vise à protéger la pérennité de son réseau. Il est d’ailleurs recommandé de rédiger la clause relative à la cession du contrat de franchise par le franchisé en tenant compte de la possibilité, pour le franchiseur, de s’opposer à la cession en cas de prix excessif.
CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 4 juin 2025, n°22/06185
Dans cette affaire, un franchiseur exploitait en France un concept de vente de produits diététiques associé à des conseils prodigués par des professionnels en matière de nutrition et diététique.
Entre 2014 et 2017, plusieurs contrats de franchise ont été conclus avec des franchisés. Cependant, quelques années plus tard, plusieurs d’entre eux ont dénoncé des manquements contractuels du franchiseur et ont quitté le réseau en résiliant de manière anticipée leur contrat ou en refusant le renouvellement de leur contrat.
Ils ont ensuite lancé une activité concurrente sous une nouvelle enseigne.
Le franchiseur a alors engagé une action en justice, reprochant aux franchisés à la fois (i) la rupture unilatérale des contrats, (ii) la violation de la clause de non-concurrence et (iii) des actes de parasitisme.
En défense, les anciens franchisés ont soulevé l’incompatibilité du contrat de franchise avec les droits français et européen de la concurrence et sollicité non seulement sa résiliation aux torts du franchiseur, mais également son annulation.
Le tribunal de commerce de Bordeaux a donné gain de cause aux franchisés, résiliant les contrats aux torts du franchiseur et le déboutant de l’ensemble de ses demandes, mais a refusé d’annuler les clauses critiquées.
Saisie en appel, la Cour d’appel de Paris a confirmé la résiliation des contrats aux torts du franchiseur, et s’est prononcée sur la validité d’une série de clauses desdits contrats au regard du droit de la concurrence. C’est ce dernier point, et lui seul, qui sera ici commenté.
La Cour d’appel a tout d’abord considéré que les pratiques en cause devaient être appréciées au regard du droit national (article L.420-1 et suivants du code de commerce) mais également du droit européen, notamment en application de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) car elles étaient de nature, « eu égard à leur nature, à leur économie et à leur ampleur géographique », d’affecter de manière sensible le commerce entre Etats membres.
Le contrat prévoyait d’abord une interdiction faite au franchisé de vendre en ligne. La Cour a jugé que cette clause constituait une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101 du TFUE et L.420-1 du Code de commerce et qu’il n’était pas démontré que cette restriction bénéficiait d’une exemption individuelle.
Le franchiseur avait fait valoir que l’interdiction de vente en ligne tenait au fait que la vente des produits (des compléments alimentaires) était associée à des conseils prodigués par des diététiciens, et nécessitait une traçabilité. Mais la Cour, se référant à la jurisprudence Pierre Fabre (CJUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre, C-439/09) a souligné (i) qu’il n’était pas démontré que cette technique de vente (association de la vente et des conseils de professionnels) était imposée par la réglementation mais qu’elle relevait seulement du choix du franchiseur, (ii) que les biens étaient vendus en ligne en Espagne (par le franchiseur lui-même) et (iii) que l’exigence de traçabilité des produits ou l’interdiction de vente sur internet de ces produits ne résultait pas d’une réglementation spécifique.
La Cour a donc jugé que la clause d’interdiction de la vente sur internet n’était pas objectivement justifiée au regard des produits en cause et qu’elle devait être annulée.
Concernant la clause d’approvisionnement exclusif qui obligeait à s’approvisionner exclusivement en produits contractuels auprès du franchiseur, la Cour a rappelé que ce type de clause s’analysait, en droit européen de la concurrence, comme une clause de non-concurrence. Elle rappelle par ailleurs que, « en matière de franchise, les clauses qui organisent le contrôle indispensable à la préservation de l’identité et de la réputation du réseau, symbolisé par l’enseigne, ne constituent pas des restrictions de concurrence ».
En l’espèce, la Cour a considéré que l’approvisionnement exclusif était indispensable pour préserver le savoir-faire et l’identité du réseau, lequel est « fondé sur une adéquation entre les méthodes techniques mises au point par le franchiseur en conseil diététique et les produits qui y sont associés ». Elle a donc refusé d’annuler la clause.
Cette analyse apparaît parfaitement conforme aux règles applicables puisque les produits concernés sont fabriqués par la maison-mère du franchiseur et propres à l’enseigne.
Concernant par ailleurs la clause portant interdiction de revente et d’achat des produits contractuels entre franchisés, la Cour s’est référée à l’arrêt Pronuptia (CJUE, 28 janvier 1986, C-161/84) aux termes duquel une clause prévoyant que le franchisé ne peut vendre que « des produits provenant du franchiseur ou de fournisseurs sélectionnés par lui » ne pouvait aboutir à empêcher un franchisé de se procurer ces produits auprès d’autres franchisés.
La Cour en a déduit que la clause du contrat de franchise interdisant la revente entre franchisés était nulle car il s’agissait d’une restriction de concurrence par objet et le franchiseur n’apportait pas de justification objective sur cette interdiction entre franchisés.
On comprend mal, cependant, comment il est possible tout à la fois de de valider une clause d’approvisionnement exclusif auprès du franchiseur (cf. supra) et d’interdire la clause qui interdit au franchisé de revendre à d’autres franchisés du réseau (lesquels se trouveraient alors en violation de leur engagement d’approvisionnement exclusif auprès du franchiseur).
Concernant enfin la clause de non-concurrence post-contractuelle intégrée dans les contrats de franchise, la Cour a estimé qu’elle était disproportionnée et qu’il y avait lieu de l’annuler. En effet, si la Cour souligne tout d’abord que la clause de non-concurrence post-contractuelle est légitime en franchise dès lors qu’elle a pour objectif de protéger le savoir-faire du franchiseur, elle doit être proportionnée à l’objectif poursuivi.
En l’espèce, la clause s’étendait à l’ensemble du territoire français.
Elle ne pouvait donc bénéficier de l’exemption du règlement UE 2022/720 (qui n’accorde l’exemption qu’aux clauses limitées aux locaux ou terrains à partir desquels l’activité était préalablement exercée) et la Cour a estimé que le franchiseur « ne justifie ni même explicite en quoi la spécificité du savoir-faire implique une protection sur l’ensemble du territoire national ».
Ainsi, sur les quatre clauses du contrat de franchise examinées par la Cour d’appel, trois ont été déclarées nulles. Si dans l’un des trois cas de figure, la position de la cour nous semble discutable, l’arrêt a le mérite de rappeler la nécessité, pour les franchiseurs, de s’assurer du respect des règles de concurrence dans leurs contrats de franchise comme dans leurs relations avec les franchisés.
Cass. com., 14 mai 2025, n° 23-17.948, 23-18.049, 23-18.082
L’article 1112-1 §1 du Code civil dispose qu’au moment de la formation du contrat « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre, doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. »
Le troisième alinéa de l’article 1112-1 précise que « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».
Dans un arrêt remarqué du 14 mai 2025, la Cour de cassation a ajouté un élément à cette définition.
Les faits étaient les suivants. L’associé d’une société exploitant un fonds de commerce de restauration rapide cède l’intégralité de ses parts sociales à un tiers. Après la cession, le tiers en question découvre que le règlement de copropriété du local loué interdit d’y faire de la friture. Il assigne alors le cédant pour manquement à son devoir d’information précontractuelle, estimant que cette information était déterminante pour son consentement.
La cour d’appel de Reims rejette sa demande d’indemnisation, estimant que le cessionnaire n’apportait pas la preuve que la possibilité de faire de la friture était une condition déterminante de son consentement. Elle relève en outre que le cessionnaire disposait d’équipements pour une activité de restauration rapide, sans que la friture soit nécessaire.
Le cessionnaire se pourvoit en cassation, soutenant que, dès lors que l’interdiction de faire de la friture constituait une restriction à l’exploitation du fonds de commerce de restauration rapide, elle devait être regardée comme une information déterminante de son consentement.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt de la cour d’appel, énonçant que “ le devoir d'information précontractuelle ne porte que sur les informations :
qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité́ des parties ;
et dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre partie”.
Ainsi, la partie qui se prévaut d’un manquement au devoir d’information doit non seulement démontrer que l’information manquante a un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties (ce qui est la définition même de l’information ayant une « importance déterminante » selon l’article 1112-1 §3 du Code civil) mais également que cette information – qui est déjà censée avoir une importance déterminante – était déterminante de son consentement (cette seconde condition n’étant pas expressément requise par le texte pour qu’il soit applicable).
Dans la présente espèce, faute pour le cessionnaire de démontrer que la possibilité de faire de la friture dans le local exploité ait influencé de manière décisive son consentement, la cour d’appel était donc fondée à rejeter sa demande d’indemnisation.
Cette décision alourdit la charge de la preuve du cocontractant qui doit désormais établir, de manière cumulative, le lien objectif de l’information avec le contenu du contrat ou la qualité des parties, et son impact subjectif sur son consentement.
En évitant que toute omission d’information un tant soit peu liée au contrat n’ouvre droit à indemnisation, la Cour tend à préserver la force obligatoire du contrat, ce qui doit être salué et ce qui est cohérent avec la position adoptée, en matière de franchise, concernant l’article L.330-3 du Code de commerce.
Le débat se déportera donc sur la qualification du caractère déterminant ou non d’une information, ce qui relève d’une analyse in concreto, cas par cas.
Cass. com., 9 avr. 2025, n°23-22.122
Dans cette affaire, la société Uber France avait lancé entre 2014 et 2015, sous le nom d’« UberPop », un service de transport entre particuliers via une application mobile.
Des chauffeurs de taxi l’avaient assignée pour concurrence déloyale, invoquant une violation des règles applicables au transport de particuliers à titre onéreux, et sollicitant l’indemnisation de leur préjudice économique et moral.
La cour d’appel de Paris a fait droit à leur demande et condamné Uber France à indemniser le préjudice économique et moral. Pour évaluer le préjudice économique, la cour d’appel avait retenu une méthodologie fondée sur l’avantage indu que s’était octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectées par ces actes, ce qui semblait conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. com., 12 février 2020, n°17-31614).
La société Uber France a néanmoins formé un pourvoi en cassation.
Elle critiquait d’une part, la méthode d’évaluation utilisée, estimant qu’elle conduisait à accorder à la victime un gain indu en la plaçant dans une situation plus favorable que celle qui aurait existé en l’absence de concurrence déloyale. Selon Uber, le préjudice devait se limiter au dommage effectivement subi par les chauffeurs, sans prise en compte des bénéfices d’Uber liés à l’activité illicite.
D’autre part, Uber France soutenait qu’un préjudice économique devait être démontré, ce que la cour d’appel aurait omis, malgré ses propres constatations, excluant toute perte ou gain manqué pour les chauffeurs.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel.
Elle confirme d’abord, dans la lignée de sa jurisprudence antérieure, que l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale peut servir de base à l’évaluation du préjudice de la victime de ces actes, lorsque celui-ci est difficile à chiffrer, notamment en cas de parasitisme ou de non-respect d’une réglementation. Cette méthode d’évaluation vise uniquement à compenser la difficulté de preuve du préjudice, et ne place pas la victime dans une situation plus favorable à celle qui aurait existé sans les actes déloyaux, dès lors que cet avantage est modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectées par ces actes.
Toutefois, la Cour rappelle que l’avantage indu ne constitue qu’une présomption simple que l’auteur de la pratique de concurrence déloyale peut renverser en démontrant l’absence de perte, de gain manqué ou de perte de chance pour la victime.
Dans ce cas, seul le préjudice moral reste indemnisable car celui-ci est irréfragablement présumé en matière de concurrence déloyale, conformément à une jurisprudence constante (Cass. com., 3 mars 2021, n° 18-24373).
En l’espèce, la Cour de cassation relève que la cour d’appel avait reconnu que le trouble commercial posé par Uber « pouvait ne pas se traduire en un détournement de clientèle effectif ou significatif et en une baisse de chiffre d’affaires corrélative » et que les taxis n’avaient finalement subi aucun préjudice économique autre qu’un préjudice moral.
Elle ne pouvait donc pas accorder d’indemnisation sur le fondement de l’avantage indu et l’arrêt est cassé.
Cette décision reflète la recherche, par la Haute juridiction, d’un équilibre entre la volonté de faciliter l’évaluation de l’indemnisation des victimes (qui résulte de sa jurisprudence précédente) et celle d’écarter la réparation d’un préjudice économique lorsque celui-ci est en réalité inexistant.
CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 mai 2025, n° 23/00202
Par un arrêt rendu le 7 mai 2025, la Cour d’appel de Paris confirme l’application de l’article 1240 du Code civil au profit des victimes par ricochet en matière de rupture brutale d’une relation commerciale établie.
Dans cette affaire, la société Service Prestige assurait, pour le compte de la compagnie aérienne Emirates, le transport de passagers premium à partir de plusieurs aéroports français. Sa filiale, la société Service Prestige Développement, gérait les réservations et l’informatique liées à cette activité, participant ainsi de manière directe et durable à l’exécution des services.
Après un appel d’offres non remporté par Service Prestige, Emirates lui a notifié la fin de leur relation commerciale avec un préavis relativement court.
Considérant que cette rupture était brutale, Service Prestige a alors assigné Emirates sur le fondement de l’article L.442-1, II du Code de commerce.
Sa filiale a également réclamé réparation, estimant avoir subi un préjudice par ricochet, en raison de sa dépendance totale à l’activité liée à Emirates.
Le tribunal de commerce de Paris a accueilli la demande d’indemnisation de la société mère, mais débouté sa filiale, estimant qu’elle ne démontrait pas un préjudice directement imputable au caractère brutal de la rupture. La filiale a donc interjeté appel.
Dans l’arrêt ici commenté, la cour admet le préjudice par ricochet en rappelant qu’ « une victime par ricochet peut solliciter une indemnisation si elle prouve qu’elle était, depuis le début de la relation commerciale ou depuis un temps suffisamment long, le fournisseur des produits ou services dont la commande a brutalement diminué ou cessé ».
En l’espèce, la cour a constaté que la société Service Prestige Développement avait été créée spécifiquement pour gérer la centrale de réservation et l’outil informatique au service de l’activité liée à Emirates, et qu’elle y consacrait l’intégralité de son activité depuis plus de onze ans. Elle a retenu que la filiale justifiait d’une dépendance économique exclusive à l’égard de la relation rompue, et qu’elle subissait ainsi un préjudice personnel et direct lié à l’insuffisance du préavis consenti à la société mère.
En conséquence, la cour a condamné Emirates à verser à Service Prestige Développement une indemnité fondée sur la perte de marge sur coûts variables durant la période non couverte par un préavis suffisant.
La solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 27 février 2020, n°17/12775) et est en phase avec celle de la Cour de cassation (Cass. Com., 6 septembre 2011, n°10-11975).
En pratique, elle invite les entreprises à mesurer les effets d’une rupture brutale non seulement sur leurs partenaires directs, mais aussi sur les tiers qui sont dépendants de la relation (lesquels ne sont malheureusement pas toujours connus).
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par plusieurs auteurs
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