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9 mai 2023

Newsletter Franchise & Distribution – No 33

  • Briefing

Actualité juridique en France

  • Franchise : suite de l’affaire Pizza Sprint / Domino’s Pizza
  • Franchise : la rupture soudaine du contrat par le franchisé, sans urgence ni mise en demeure préalable constitue un trouble
    manifestement illicite
  • Déséquilibre significatif : des précisions de la Cour d’appel de Paris sur la qualification de loi de police
  • Déséquilibre significatif : les critères d’appréciation de la « tentative de soumission »
  • Avantage sans contrepartie : le champ d’application du texte élargi au cas de la réduction de prix imposée
  • Veille législative : Egalim 3 : une réforme qui va bien au-delà du seul secteur alimentaire
  • Veille législative : adoption en première lecture de la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des
    influenceurs sur les réseaux sociaux


Nouvelle du monde

Retrouvez également les actualités des pays suivants avec le concours de nos correspondants internationaux, spécialistes de la franchise : Chine, Danemark, Etats-Unis, Inde, Italie, Birmanie, Quatar.


 

Actualité juridique en France

 

Franchise : suite de l’affaire Pizza Sprint / Domino’s Pizza

 

CA Paris, 8 février 2023, n°20/04558, 20/04557, 20/01712, 20/04561,20/01748, 20/01691, 20/01706, 20/01756, 20/06545

 

Le 8 février 2023, la Cour d'appel de Paris a rendu une série d'arrêts condamnant Domino's Pizza, en tant que franchiseur, dans un litige l'opposant à sept de ses anciens franchisés qui exploitaient sous l’enseigne Pizza Sprint.

 

En 2016, le réseau de franchise Pizza Sprint avait été cédé à Domino's Pizza France. Certains franchisés avaient accepté de conclure de nouveaux contrats de franchise et d'opérer sous l'enseigne Domino's Pizza, tandis que d'autres avaient préféré continuer à exploiter sous enseigne Pizza Sprint malgré des relations tendues avec le franchiseur.

 

Domino’s Pizza avait finalement décidé de résilier les contrats de franchise des franchisés Pizza Sprint pour violation de la clause d’approvisionnement.

 

Les franchisés avaient alors invoqué la nullité de leur contrat de franchise, sur le fondement d'un vice de consentement, mais également sur la base d'un « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dont la nullité a pour effet de vider le contrat de sa substance ». Ils demandaient également la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur et la réparation de leur préjudice.

 

La Cour d'appel de Paris a rejeté la demande de nullité du contrat formulée par les franchisés sur le fondement du vice du consentement. Certains des franchisés étaient prescrits. D'autres ne démontraient pas suffisamment le vice de consentement allégué.

 

Quant à la demande fondée sur le déséquilibre significatif, les franchisés considéraient que l'ensemble du contrat devait être annulé à la suite de l’arrêt de la Cour d'appel de Paris du 5 janvier 2022 qui avait condamné Domino’s Pizza sur le fondement du déséquilibre significatif et annulé les clauses relatives à l'intuitu personae et à la résiliation du contrat de franchise Pizza Sprint. Cependant, pour la Cour ils ne démontraient pas « en quoi cette clause était essentielle au contrat de franchise ou que sa suppression était de nature à bouleverser l'économie du contrat. » La Cour a donc également refusé d’annuler le contrat sur ce fondement.

 

Néanmoins, la Cour a suivi les franchisés sur le terrain de la résiliation des contrats de franchise et a prononcé la résiliation aux torts exclusifs du franchiseur pour deux motifs : (i) pour mise en œuvre fautive de l’obligation d’approvisionnement (le déséquilibre significatif qui avait été identifié à la demande du Ministre de l’économie dans l’arrêt du 5 janvier 2022) et (ii) pour défaut d’assistance et défaut d’évolution du savoir-faire à la suite de la reprise du contrat de franchise par Domino’s Pizza.

 

Pour rappel, la clause d’approvisionnement contenue dans les contrats de franchise n'imposait pas un approvisionnement exclusif (il était donc difficile d'imputer aux franchisés une violation de cette clause) mais cette exclusivité résultait, selon l’arrêt du 5 janvier 2022, de pressions de la part du franchiseur.

 

Or, celui-ci avait profité de cette exclusivité d’approvisionnement imposée pour réaliser des marges jugées excessives par les franchisés et la Cour d’appel.

 

De plus, la Cour a relevé que « le franchiseur a manqué à ses obligations contractuelles en ne fournissant plus d’effort d’actualisation de son savoir-faire, en ne respectant pas son obligation de formation et d’assistance sur les méthodes commerciales et marketing nouveaux produits, et en contribuant à la dégradation de la notoriété du réseau ». Ce faisant, selon la Cour, le franchiseur s’est rendu coupable d'une « exécution déloyale du contrat […] de nature à engager [sa] responsabilité à l'égard des sociétés franchisées », ce qui justifie la résiliation à ses torts exclusifs.

 

La cour d’appel a donc condamné le franchiseur à restituer une partie des redevances à ses anciens franchisés (pour près de 280.000 euros), à verser des dommages-intérêts en réparation de la marge considérée par la Cour comme trop perçue (pour plus de 710.000 euros) et en réparation du préjudice moral des dirigeants (pour 230.000 euros), mais aussi au titre de la perte de valeur des fonds de commerce des franchisés (pour plus de 540.000 euros).

 

Sur ce dernier point, la décision apparaît particulièrement critiquable car le franchisé n’a aucun droit acquis à la cession du contrat de franchise (celui-ci étant conclu intuitu personae et le franchiseur conservant un droit de veto sur le cessionnaire) ni au renouvellement ad vitam de son contrat de franchise, de sorte qu’il ne nous semble pas cohérent d’inclure la perte de la survaleur découlant de l’utilisation de la marque et du concept de franchise dans l’évaluation de la valeur du fonds de commerce pour le calcul du préjudice du franchisé.

 

Ces arrêts rappellent, quoi qu’il en soit, la nécessité de conserver un certain équilibre dans la relation de franchise, de prévoir des clauses claires sur les droits et obligations de chacune des parties et, par ailleurs, de respecter les obligations qui s'imposent à elles et qui font l'essence de la franchise.

 

 

 

 

Franchise : la rupture soudaine du contrat par le franchisé, sans urgence ni mise en demeure préalable constitue un trouble manifestement illicite    

CA Paris, 1er février 2023, n°22/15022

 

Dans cette affaire, une société spécialisée dans le fitness avait consenti une licence de marque et d’affiliation à une autre société pour l’exploitation d’un club de fitness sous son enseigne.

 

Le contrat conclu entre les parties avait été signé le 2 août 2018, pour une durée de 7 ans, le terme étant fixé au 31 juillet 2025.

 

Le 27 juillet 2022, l’affilié a adressé un courrier au concédant, l’informant de la résiliation anticipée du contrat de licence, avec un préavis d’un mois.

 

Le concédant a alors assigné le licencié en référé devant le Président du tribunal de commerce de Paris afin qu’il constate le caractère irrégulier de la résiliation, le trouble manifestement illicite qui en résultait, et qu’il ordonne la poursuite forcée du contrat.

 

Le juge des référés a rejeté ces demandes.

 

Le concédant a donc interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris et réitéré son argumentation, soulignant que la résolution du contrat n’était pas justifiée par un caractère d’urgence et qu’aucune mise en demeure ne lui avait été adressée au préalable.

 

Dans son arrêt du 1er février 2023, la Cour rappelle qu’ « en vertu des articles 1224 et 1226 du code civil, en l’absence de clause résolutoire ou d’une résolution judiciaire, la résolution résulte en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur, à ses risques et périls, avec sauf urgence, mise en demeure préalable du débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable ; la mise en demeure doit mentionner expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. »

 

Estimant qu’il n’y avait pas d’urgence, ni eu de mise en demeure préalable dans cette affaire, la Cour considère que l’affilié a grossièrement violé l’article 1226 du code civil.

 

La Cour d’appel de Paris a donc jugé que cette résiliation constituait un trouble manifestement illicite et ordonné la poursuite de la relation contractuelle.

 

Cet arrêt (qui n’est pas isolé – voir par exemple : CA Rennes, 4 mars 2022, n°21/02364) illustre les pouvoirs très étendus du juge des référés qui peut faire obstacle à une rupture soudaine et abusive du contrat par l’une ou l’autre des parties, si les dispositions applicables ne sont pas respectées. Il invite également à correctement rédiger la clause résolutoire, afin de permettre une résolution rapide du contrat dans des cas grave précisément identifiés.

 

 

 

 

Déséquilibre significatif : des précisions de la Cour d’appel de Paris sur la qualification de loi de police

 

CA Paris, 20 janvier 2023, n°22/13154

 

Il était question dans cette affaire d’une influenceuse possédant un compte Instagram accessible depuis la plateforme Facebook (« Meta Platforms ») dans lequel elle faisait notamment la promotion de ses prestations de coiffure.

 

L’influenceuse avait assigné Facebook France et Facebook Ireland Limited devant le tribunal judiciaire de Paris, après avoir constaté des détournements de contenu sur son compte et la rupture d’accès à celui-ci.

 

Facebook Ireland Limited (devenue Meta Plateforms Ireland) avait soulevé l’incompétence des tribunaux français et estimé que les juridictions irlandaises étaient seules compétentes en se référant à la clause de juridiction prévue dans « les conditions d’utilisation du service de la plateforme Instagram ».

 

Cette clause prévoyait en effet que les litiges relatifs à l’utilisation du service Instagram dans un cadre professionnel ou commercial devaient être portés devant les juridictions compétentes en Irlande et que la loi applicable était la loi irlandaise.

 

Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris, saisi par Meta Plateforms Ireland, avait déclaré la juridiction française incompétente pour juger ce cette affaire.

 

L’influenceuse et sa société ont alors interjeté appel de cette décision, affirmant (i) qu’en leur qualité de consommateurs, ils devaient bénéficier du régime spécial prévu dans le règlement Bruxelles 1 bis (règlement (UE) n°1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale), (ii) qu’il devait être fait application du droit à un procès équitable dans cette affaire, (iii) que l’article 1171 du Code civil qui prohibe le déséquilibre significatif était une loi de police impérative qui devait s’appliquer au litige et enfin (iv) que la clause attributive prévue dans les conditions d’utilisation « cré[ait] un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ».

 

La Cour d’appel de Paris a confirmé la décision du juge de la mise en état et débouté les demanderesses.

 

Pour donner effet à la clause de juridiction et à la clause de loi applicable des conditions générales d’Instagram, la Cour d’appel a, sans surprise, indiqué que les demanderesses n’avaient pas le statut de consommateurs puisque le compte était principalement utilisé pour faire la promotion d’une activité professionnelle, et que l’argument selon lequel la clause attributive de juridiction contreviendrait au droit à un procès équitable ne pouvait pas être retenu, aucun argument ne le justifiant et compte tenu du fait qu’il s’agissait d’un litige entre professionnelle portant, de surcroît, sur plus d’un million d’euros.

 

Elle a ajouté, et c’est la partie intéressante de l’arrêt, que les dispositions des articles 1171 du Code civil et L.442-6 du Code de commerce ne pouvaient être qualifiées de loi de police au sens du Règlement n°593/2008 – Rome 1 (article 9.1). Selon la Cour « en droit, il ne s'évince pas des termes généraux de l’article 1171 du code civil précité, la vocation de ce texte à protéger spécialement les intérêts publics de l'Etat sur un champ d'application déterminé » et « il en est de même des termes généraux de l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce qui ne peut être qualifié de loi de police, sauf lorsque, en vertu des prérogatives que l’article L.442-4 du code de commerce leur réserve, le ministère public, le ministre chargé de l'économie ou le président de l'Autorité de la concurrence caractérisent une pratique commerciale restrictive déterminée susceptible de porter atteinte à l'ordre public économique de l'État qu'il leur appartient de défendre ».

 

Cette affirmation appelle deux remarques :

 

  • La première est que la Cour d’appel propose ici de qualifier les dispositions du Code de commerce sur le déséquilibre significatif (article L.442-6, I, 2° devenu article L.442-1, I, 2° du code de commerce) de loi de police uniquement quand ce sont les autorités publiques qui portent l’action car il y alors présomption d’atteinte à l’ordre public économique. Cette proposition permettrait peut-être de mettre d’accord les chambres de la Cour d’appel de Paris sur la qualification de loi de police de ces dispositions. Mais nous doutons qu’il soit souhaitable d’opérer une telle distinction ;

     

  • La seconde est que le législateur, avec la loi Descrozailles (Egalim 3) du 30 mars 2023, vient de prendre position en imposant l’application de ces dispositions (parmi d’autres), quelle que soit la loi choisie, dès lors que les produits ou services sont commercialisés en France (voir notre commentaire infra), ce qui invalide la pétition de principe très générale de la Cour d’appel.

 

 

 

 

Déséquilibre significatif : les critères d’appréciation de la « tentative de soumission »

 

CA Paris, 15 mars 2023, n° 21/13227 et n° 21/13481

 

L’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce (anciennement article L.442-6, I, 2°) interdit non seulement le fait de soumettre son cocontractant à un déséquilibre significatif, mais également la simple tentative de le soumettre.

 

C’est sur la notion de tentative de soumission que la Cour d’appel de Paris était amenée à se prononcer dans ses deux arrêts du 15 mars 2023.

 

Dans ces affaires, plusieurs acteurs de la grande distribution alimentaire avaient exercé, en mai 2015, des pressions sur treize de leurs fournisseurs du secteur de la parfumerie/hygiène pour obtenir des avantages financiers et investissements, alors même que les conventions venaient d’être finalisées le 1er mars 2015 et que ces demandes additionnelles ne résultaient, selon la DGCCRF, ni de circonstances nouvelles, ni d’un besoin nouveau des fournisseurs.

 

Par ailleurs, les demandes d’investissement n’étaient pas assorties de contreparties précises et chiffrées permettant de les justifier.

 

Le Ministre de l’Economie avait donc engagé la responsabilité de la centrale d’achat et de ses mandants devant le Tribunal de commerce de Paris qui les avait condamnés pour huit des treize cas examinés pour tentative de soumission à des obligations significativement déséquilibrées.

 

Par deux arrêts en date du 15 mars 2023, la Cour d’appel de Paris infirme les décisions du Tribunal dans cinq des huit cas et confirme la tentative de soumission et condamne la centrale d’achats et ses mandantes dans seulement trois cas.

 

Pour caractériser l’existence d’une soumission ou tentative de soumission, la Cour d’appel rappelle d’abord que doit être démontrée « l’absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. » Celle-ci peut être caractérisée « par l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation ».

 

La Cour ajoute que « l’insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d’adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n°20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative. »

 

Elle poursuit en indiquant que la tentative de soumission doit être distinguée de la soumission elle-même.

 

Pour la Cour, la tentative de soumission est « l'action par laquelle on s'efforce vainement d'obtenir un résultat » et « implique ainsi une analyse qui accorde une attention particulière à l’entrée en négociation prétendue ».

 

En l’espèce, la Cour note qu’il est anormal que la centrale d’achat et ses mandants aient remis en cause les conventions annuelles signées le 1er mars quelques semaines seulement après leur conclusion. En outre, elle note que la centrale d’achat a demandé des efforts financiers à ses fournisseurs mais sans envisager, au moins au départ, de contrepartie. Or, pour la Cour « une négociation présuppose d’emblée la prise en compte des besoins de l’interlocuteur et ainsi la détermination, même provisoire et sommaire, de contreparties identifiables et quantifiables dès l’entrée en pourparlers. En ce sens, l’absence de ces dernières est un indice pertinent de la soumission ou de sa tentative. »

 

La Cour ajoute toutefois que « l’examen ne peut être circonscrit à cette phase précoce, trop resserrée pour permettre de déterminer la négociabilité des propositions formulées dans le cadre de processus de discussions habituellement tendus. »

 

Autrement dit, une posture agressive initiale, traduisant la volonté d’instaurer un rapport de force en début de négociation ne suffit pas : encore faut-il que la pression ait été maintenue invariablement jusqu’à la conclusion du contrat ou à son rejet par l’autre partie.

 

Dans ce contexte, et après s’être attachée à confirmer que le rapport de force était en défaveur des fournisseurs, malgré leur taille, compte tenu de la structure du marché, la Cour examine comment la discussion entre les parties a évolué à la suite des premiers échanges.

 

Lorsqu’elle constate que le distributeur a maintenu une pression constante, sans jamais proposer de contrepartie, la Cour considère qu’il y a eu tentative de soumission. Pour la Cour d’appel, « il est indifférent que [le] fournisseur n’ait finalement pas accepté l’investissement sollicité puisque la tentative est par définition constituée sans concrétisation de son résultat et qu’il a subi des mesures de représailles sanctionnant son refus. »

Au contraire, lorsque la Cour constate l’absence de mesures de rétorsion et que la discussion a finalement abouti à des contreparties à l’investissement réclamé, la Cour relève qu’il y a eu « négociation effective » et que, par conséquent, la tentative de soumission ne peut pas être retenue.

 

Pour la Cour, la tentative de soumission ne peut donc pas être sanctionnée sur le fondement de l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce si les parties ont finalement négocié les termes de leur contrat.

 

 

 

Avantage sans contrepartie : le champ d’application du texte élargi au cas de la réduction de prix imposée

Cass. Com., 11 janvier 2023, n°21-11.163

CE, 21 décembre 2022, n°463938

 

Dans la première affaire, une société spécialisée dans la construction et la commercialisation de maisons individuelles avait fait appel à un sous-traitant pour des missions de construction. Ce sous-traitant avait ensuite fait l’objet d’une déduction d'une remise exceptionnelle de 2% sur le prix appliqué par le constructeur sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

 

Le Ministre de l'Economie a alors assigné la société de construction aux fins de condamnation pour des pratiques consistant à (i) déduire des factures des sous-traitants une remise systématique de 2% au titre du CICE, et (ii) s'octroyer un escompte de 3% pour des factures réglées en retard, en contravention de l’ancien article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce devenu article L.442-1, I, 1° du même code, qui interdit le fait pour tout professionnel (hormis les professions libérales qui ne sont pas soumises au code de commerce), d’obtenir de son cocontractant des avantages sans contrepartie.

 

La Cour d’appel de Paris avait considéré que cet article n’était pas applicable aux réductions tarifaires, lesquelles ne pouvaient être examinées qu’au regard des règles interdisant le déséquilibre significatif (article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce devenu article L.442-1, I, 2°).

 

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, considérant que l'article L.442-6, I, 1° du Code de commerce « exige seulement que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque ou la tentative d'obtention d'un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage ».

 

Ce faisant, la Cour de cassation consacre l’application de la notion d’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné à une réduction de prix qui a été imposée, faisant sien l’avis qu’avait rendu la Commission d’examen des pratiques commerciales en 2018 (CEPC, avis n° 18-6, du 7 juin 2018).

 

Si la solution ne heurte pas, au cas d’espèce, dès lors qu’un rapport de soumission existait manifestement entre le maître d’œuvre et son sous-traitant et que celui-ci s’était vu imposer les remises et escomptes, espérons que les juges du fond sauront raison garder lorsque le prix a été librement consenti.

 

Par ailleurs, la société de construction estimait qu’il était inexact d’appliquer les dispositions de l’article L.442-6, I, 1° du Code de commerce aux relations de sous-traitance dès lors qu’il existe des dispositions spéciales protégeant le partenaire commercial en situation de faiblesse (en l’espèce, le régime spécial des contrats de sous-traitance en matière de construction de maison individuelle du Code de la construction et de l'habitation).

 

Sur ce point, la Cour de cassation approuve l'arrêt d’appel en ce qu’il a retenu que les relations de sous-traitance entrent dans le champ d'application de l'ancien article L. 442-6, I du Code de commerce puisque celui-ci ne pose aucune règle incompatible avec les dispositions du Code de la construction et de l'habitation. Cette solution semblait assez évidente.

 

L’article L.442-1, I, 1° du Code de commerce a par ailleurs donné lieu à un arrêt du Conseil d’Etat du 21 décembre 2022.

 

Dans cette affaire, le Tribunal de commerce de Paris avait été saisi d’une requête par laquelle l'Institut de liaisons des entreprises de consommation faisait grief à la société Amazon EU d'imposer à ses fournisseurs des pratiques commerciales et des clauses contractuelles illégales.

 

Le 10 mai 2022, le tribunal avait posé une question préjudicielle au Conseil d’Etat sur la légalité des dispositions du 1° du I du nouvel article L. 442-1 du Code de commerce issues de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019.

 

La société Amazon soutenait que cette ordonnance ne respectait pas l'habilitation donnée par le législateur dans la loi n°2018-938 du 30 octobre 2018, afin de clarifier, préciser et simplifier les définitions des pratiques restrictives de concurrence.

 

Les juges du Palais Royal ont au contraire estimé que le Gouvernement n’avait pas méconnu la portée de l’habilitation donnée par le Parlement en disposant que le texte s’appliquait (i) à tous les professionnels exerçant des activités de production, de distribution ou de services (ce qui est effectivement plus large que la version antérieure du texte), et (ii) « dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat ». Le Conseil d’Etat a donc débouté Amazon de ses demandes.

 

 

 

 

Veille législative : Egalim 3 : une réforme qui va bien au-delà du seul secteur alimentaire

 

Loi n°2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs

 

La loi Descrozaille (dite « Egalim 3 ») aura fait couler beaucoup d’encre. Estimant que le rapport de force entre distributeurs et fournisseurs était toujours trop déséquilibré en faveur des distributeurs, notamment en période de renégociation annuelle des conventions uniques, le législateur est de nouveau intervenu.

Les nouveautés apportées par le texte 

  • Le législateur a d’abord mis en place un dispositif expérimental, d’une durée de trois ans, applicable aux conventions uniques. Pour mémoire, ces conventions doivent être conclues au plus tard le 1er mars ou dans les deux mois suivant le début de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier.


    La loi prévoit qu’en cas d’échec de la négociation, le fournisseur pourra choisir entre (i) mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier puisse invoquer la rupture brutale ou (ii) demander un préavis raisonnable. Il permettrait notamment d’éviter toute clause ou obligation déséquilibrée imposée au fournisseur, partie considérée comme faible, dans le seul avantage du distributeur. L’article ajoute la possibilité pour les parties de recourir au médiateur « afin de conclure, sous son égide et avant le 1er avril, un accord fixant les conditions d’un préavis, qui tient notamment compte des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. En cas d’accord des parties sur les conditions du préavis, le prix convenu s’applique rétroactivement aux commandes passées à compter du 1er mars ». En cas de désaccord, le fournisseur pourra mettre fin à la relation commerciale sans que le distributeur ne puisse invoquer la rupture brutale ou, là encore, demander un préavis raisonnable.

  •  Le législateur a ensuite prévu une augmentation des amendes en cas de non-respect de la date butoir du 1er mars. Le montant des amendes passe ainsi à 1.000.000 euros pour les personnes morales et 200.000 euros pour les personnes physiques. Ces montants seront doublés en cas de récidive.

 

Le prolongement de deux mesures phares de la loi Egalim 1 

  • Les dispositions du Code de commerce relatives à la transparence (articles L.441-1 à L.441-19), sur les pratiques commerciales déloyales entre entreprises (articles L.442-1 à L.442-11) et les dispositions spécifiques sur les produits agricoles et alimentaires (articles L.443-1 à L.443-8) sont désormais applicables à « toute convention entre un fournisseur et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français ». La loi précise que « ces dispositions sont d’ordre public » mais vise en réalité à donner le caractère de loi de police à ces dispositions puisqu’elle ambitionne de s’appliquer dès que les produits ou services sont commercialisés en France. C’est une précision très importante et son impact ira très au-delà des relations entre la grande distribution alimentaire et ses fournisseurs.
  • Tout litige portant sur l’application des dispositions précitées « relève de la compétence exclusive des tribunaux français » mais le texte précise ensuite « sous réserve du respect du droit de l'Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans préjudice du recours à l'arbitrage ». La réserve est de taille car elle fera échapper à la juridiction des tribunaux français les litiges entre parties situées dans deux Etats membres différents de l’Union européenne et ceux soumis à l’arbitrage, mais pas les contentieux initiés par le Ministre de l’Economie (ceux-ci échappant aux règles du règlement Bruxelles I Bis depuis l’arrêt Eurelec Trading de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 décembre 2022 (aff. C-98/22)).
  • Enfin, le législateur a prévu un plafonnement des pénalités logistiques à 2% de la valeur des produits commandés, relevant de la catégorie des produits au sein de laquelle l'inexécution d'engagements contractuels a été constatée. En outre, plus aucune pénalité ne pourra être infligée si l’inexécution date de plus d’un an.
  • L’encadrement des promotions sur les produits alimentaires dans les grandes surfaces est prolongé jusqu’au 15 avril 2026. Ces promotions sont plafonnées à 34% de la valeur des produits alimentaires et à 25% en volume. Cet encadrement a été étendu par le Sénat à tous les produits de grande consommation à partir du 1er mars 2024.
  • Le seuil de revente à perte (fixant un prix en dessous duquel il est interdit de revendre le produit) est maintenu, pour les produits alimentaires, à leur prix d’achat plus 10%, jusqu’au 15 avril 2025. Les fruits et légumes sont exclus de ce dispositif.

 

 

 

 

 

Veille législative : adoption en première lecture de la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux

 

 

Le 30 mars 2023, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques des influenceurs sur les réseaux sociaux. Cette proposition de loi, mettant en place un cadre de régulation inédit en Europe, vise à la fois à l’accompagnement des influenceurs et à la protection des consommateurs, cible de ces derniers, en permettant de lutter contre les pratiques commerciales trompeuses ou frauduleuses sur les réseaux.

 

 

Apports de la proposition de loi concernant les influenceurs

La proposition de loi crée tout d’abord une définition de l’influenceur : « toute personne physique ou morale qui mobilise sa notoriété pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion directement ou indirectement de biens, de services ou d’une cause quelconque, en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature dont la valeur est supérieure aux seuils fixés par décret ».

Elle introduit également une définition de l’agence d’influence et oblige les marques, les agences et les influenceurs à conclure un contrat écrit.

Les députés ont par ailleurs souhaité mettre à jour la loi relative aux enfants influenceurs (datant d’octobre 2020) pour encadrer davantage l’activité des influenceurs mineurs. L’article élargira les obligations pesant sur l’exploitation de l’image des mineurs en ligne à l’ensemble des plateformes en ligne.

Apports de la proposition de loi pour la protection des consommateurs

La proposition de loi telle qu’adoptée vise également à la protection des consommateurs par la mise en place, entre autres mesures, de ce qui suit :

 

  • L’application, à l’influence, des mêmes règles que la publicité ;
  • L’obligation pour les influenceurs de signaler lorsque le contenu publié a fait l’objet d’un traitement d’image ou d’une retouche quelconque ;
  • L’interdiction de la publicité pour les opérations chirurgicales, y compris esthétiques ainsi que pour les produits et services financiers et les produits contrefaits ;
  • La mise ne place de sanctions en cas de violation de la loi.

 

Sur ce même sujet, est à souligner la publication, par le Ministère de l’économie, d’un guide de bonne conduite à l’attention des influenceurs comprenant des lignes directrices sur l’influence responsable.

 

L’exécutif a par ailleurs annoncé la mise en place d’une brigade de l’influence commerciale, composée de 15 agents au sein de la DGCCRF chargés de répondre aux signalements des internautes.

 

Ces dispositions permettront d’encadrer l’activité des 150.000 influenceurs actifs en France, et de protéger leur audience des arnaques et des dérives de plus en plus nombreuses avec l’expansion de ces nouveaux modes de communication et de promotion.

 

 

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